Le principe de Flattr est de promouvoir sur le net une circulation volontaire de micro-paiements, avec des contraintes minimes permettant d’espérer qu’à terme ces dons iront valoriser le travail créatif. Un projet similaire à celui de la Société d’acceptation et de répartition des dons (SARD — http://www.sard-info.org/ ), dont on attend avec impatience la mise en place [1]
Faut-il faire un dessin ? Quel qu’il soit, le travail créatif a parfois bien du mal à se trouver un « modèle économique » sur le Net. C’est tout l’enjeu de Flattr. Et on l’avoue et le savoure sans détour : qu’un début-de-prémices-d’alternative-possible-(on-est-encore-sûr-de-rien) puisse venir du côté des flibustiers scandinaves n’est pas pour nous déplaire. L’imagination au pouvoir vs l’arsenal du pouvoir.
Par travail créatif, Flattr entend textes, musiques, vidéos, sons, logiciels, et « le reste ». La force de Flattr réside aussi là : il ne se cantonne pas à un secteur. Flattr prend en compte nos usages : dans une journée, nous sommes tour à tour lecteur, puis geek, puis mélomane. Dans une journée, on peut saluer le travail de gens bien différents. C’est pourquoi, en fonction des besoins et des secteurs, le tout-gratuit ne peut être la réponse-à-tout et le système du tout-payant la réponse (viable) à rien.
Comme le dit Damien Clauzel (doublement flattré par nos services), l’une des clés du système social de micropaiement proposé par Flattr est que « le mode opératoire doit être le plus simple possible, pour éviter les barrières ; les utilisateurs doivent avoir une vision et un contrôle clairs de leurs finances ».
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Ce réseau de microdons marchera, ou pas, selon qu’il convaincra suffisamment de personnes de répartir deux ou trois euros chaque mois en flatteries auprès de leurs musiciens, dessinateurs, blogueurs, écrivains, ou codeurs préférés pour que cela rapporte plus que des clopinettes à certains.
Ça ne va pas être aisé. Un calcul simple : pour tirer un SMIC de Flattr, combien faut-il recevoir de flattries ? En supposant que le participant moyen verse 2 euros par mois et ne flatte qu’une personne par jour, on arrive au résultat de 10 000 flatteurs par mois. Et encore, sans compter qu’à partir d’un certain revenu, il faudra commencer à payer des taxes. Le calcul rejoint la théorie de Kevin Kelly, comme quoi, pour vivre de sa création, il faut à un artiste 1 000 Vrais Fans, le Vrai Fan étant défini comme quelqu’un qui achète systématiquement tout ce que vous produisez. (à lire aussi).
Donc, financièrement, on oublie ; pour 99,99… % des gens, Flattr ne remboursera jamais le temps passé à créer des « things » sur Flattr — ni même à installer Flattr. Tant que la contribution se décide sur une base volontaire, les sommes mises en œuvre ne peuvent qu’être dérisoires (à part peut-être pour Peter Sunde et ses copains, dans le rôle de la banque centrale). Parions toutefois que le système fera émerger trois ou quatre stars dont tout le monde parlera avec envie. Sur son blog, Flattr évoque de « nombreux utilisateurs » qui ont déjà perçu 100 € et des « centaines » qui ont touché une « certaine somme » (sachant que 10€ est le minimum pour percevoir des dons) mais, convenons-un, les chiffres avancés restent modestes.
On est loin de la contribution créative théorisée par Philippe Aigrain. Cette contribution qui, en étant obligatoire, lèverait immédiatement beaucoup d’argent (« de 1,2 à 1,7 milliard d’euros par an »), permettrait de remplir (un peu) les poches de (beaucoup) d’artistes et de créateurs, plutôt que de faire rouler des euros dans la besace des fournisseurs d’accès ou des sociétés de flicage, comme le font Hadopi et son pare-feu Open-Office.
Autre critique, plus idéologique : le système alimente les kurbettes, c’est-à-dire une déférence devant la créativité, en reposant sur le mythe de l’Auteur seul face à son œuvre. Un mythe nuisible dans bien des secteurs de la créativité où il n’a tout simplement pas de sens, comme par exemple dans le logiciel libre — mais pas seulement. Les deux auteurs de cet article ne sont d’ailleurs pas entièrement d’accord sur ce point (c’est la beauté des textes écrits à quatre mains). Car tout dépend du champ de la création. Parfois exercice solitaire, parfois fusion commune des esprits, etc. Mais le propos, ici, est bien celui-ci : comment fait-on pour s’en sortir un peu à l’heure du numérique, où chacun perçoit que les notions d’auteur, de diffuseur, d’éditeur, et même le travail des marchands a basculé.
Quoi qu’on en pense, Flattr peut être amusant. Si on le considère non pas comme une source de revenus (dans tes rêves), mais comme une nouvelle expérience de monnaie alternative, à l’image du whuffie de Cory Doctorow. Quand on est content d’avoir lu un truc ou écouté un machin, on envoit un feedback ; ça existait déjà sous la forme d’un commentaire sur le forum, ou d’un « j’aime » ; on peut maintenant soutenir pécunièrement avec une flattrie. Le compte de la personne flattrée s’enrichit de quelques centimes, qu’elle utilisera à son tour pour flattrer d’autres personnes. Le whuffie circule ainsi, interactivité à deux balles comme les « poke » de Facebook ou les « kudos » de feu Ohloh, mais interactivité tout de même.
__
Billet originellement publié sur le blog de Davduf sous le titre “Flattr-ies et Kurbettes“.
Crédit Photo CC Flickr : Samfoxphotography.
]]>